Sanjay Nadkarni est Directeur de Recherche en Éducation à l’université Emirates Academy of Hospitality Management de Dubaï. Il s’intéresse tout particulièrement à l’espace consacré à la conversion au numérique, à l’intelligence artificielle et à l’industrie 4.0 au sein de l’industrie des services.

Roel Brinkman est maître de conférence en hôtellerie et développement durable dans cette même université. Il a pour mission de transformer la théorie en pratique pour former les professionnels de l’hôtellerie de demain.

Ils sont là aujourd’hui pour débattre en tête-à-tête sur l’équilibre entre Intelligence artificielle et Développement durable. Après un webinaire passionnant, nous donnons la parole à notre public pour défier ces experts chevronnés.

Roel, pourquoi le développement durable coûte-t-il si cher ? Et comment l’IA peut-elle contribuer à réduire ce coût ?

Je ne pense pas que le développement durable soit nécessairement cher. La question qu’il faudrait plutôt se poser, c’est pourquoi ce qui n’est pas durable coûte si peu ? Pourquoi un yaourt bio est-il plus cher qu’un yaourt normal ? Si on veut faire évoluer les comportements et pousser les gens à faire les bons choix, ce devrait être l’inverse. À IKEA par exemple, ils sont très forts dans ce domaine : leur hot dog végétarien est moins cher que le hot dog ordinaire - ce qui prouve un réel changement dans les perceptions.

Sanjay, comment l’IA ou l’apprentissage automatique ou tout autre outil de transformation numérique pourrait-il nous aider à évaluer correctement la valeur des produits ? 

J’insiste sur le concept de “valeur”, ce qui n’est pas la même chose que le “prix”. Quand on parle de triple performance, on pense à la durabilité environnementale, mais cela tient aussi à la durabilité sociale et économique, il doit y avoir un équilibre entre les trois, et c’est là que les technologies peuvent intervenir, en optimisant cet écosystème si complexe. Ou encore en faisant appel aux algorithmes d’IA. Quand on cherche à atteindre des objectifs environnementaux, à réduire l’empreinte carbone, quel est le coût ou le bénéfice économique, quel est le coût ou le bénéfice social ? Les trois devraient être prises en compte. Il doit y avoir un changement de mentalité au  niveau de la hiérarchie sur les moyens mis en œuvre pour atteindre cette durabilité - il ne suffit pas de cocher des cases, de suivre les normes et d’y coller l’étiquette “RSE”.

Mais l’IA dans le recrutement a quelque chose d’implacable. Comment pouvons-nous aider l’IA à éliminer les préjugés contre les personnes qui ne maîtrisent pas le numérique ?

L’éthique dans l’IA constitue un grand enjeu actuellement et la programmation standard est souvent assimilée à de l’intelligence artificielle. 

Si une entreprise établit des critères pour exclure une certaine catégorie de candidats, le système les rejettera. Les algorithmes de recrutement qui sont formés à partir de plusieurs groupes de données issues de modèles, dépendent des données qui alimentent le système.

L’algorithme est peut-être parfait mais il fonctionne à partir de données et la responsabilité d’alimenter le système en données impartiales repose sur les personnes qui déploient ces systèmes de recrutement. Par exemple, le module de traitement du langage GPT-3 peut rédiger des textes à notre place ou composer de la musique, sans que nous puissions distinguer si cela a été fait par un humain ou une machine. Mais lors des tests, de nombreux biais ont été détectés.  Pourquoi ? Parce que les données introduites pour élaborer ce modèle, qui contenait plus de 175 milliards de paramètres, étaient d’une certaine manière déjà biaisées au départ.

Le problème des données biaisées doit être résolu par les responsables d’éthique et devrait être pris en compte dans les politiques des entreprises pour ne pas éliminer des candidats qualifiés exclus par l’algorithme.

Roel, vous soutenez que nous devons pousser nos clients à adopter un comportement plus durable. Mais la plupart de nos clients arrivent en avion, pas en train…

En tant que co-créateurs d’excellence ou porteurs d’améliorations, nous avons tous un rôle à jouer pour éduquer nos clients. C’est peut-être une utopie dans un établissement haut de gamme, où la disponibilité des services est un must et va à l’encontre de la durabilité, mais ce n’est pas impossible. Nous devons renforcer nos relations avec les agences de voyage en ligne (OTA), comme les compagnies aériennes, pour compenser leur impact. Bien que les émissions de Co2 soient encore au cœur du débat, les consciences se réveillent. Nous pouvons transférer la responsabilité aux personnes en récompensant les bons comportements, à travers des incitations positives, sous la forme de réductions par exemple. C’est déjà le cas depuis des années dans les hôtels, avec l’éclairage dans les chambres, l’usage de l’eau et des serviettes, mais on pourrait l’élargir aux étapes antérieures et postérieures au séjour à l’hôtel. Nous avons tous une responsabilité individuelle envers notre planète et envers l’environnement, mais cela est également vrai pour les industries et les activités qui œuvrent à plus grande échelle.

Cela dit, Roel, comment pouvons-nous, en tant qu’individus, en tant que maillon d’une industrie, atteindre l’équilibre entre la responsabilité individuelle et la responsabilité sociétale ?

Il faut donner l’exemple, pour créer l’effet Thunberg. La triple performance ne va pas uniquement du haut vers le bas, elle va aussi du bas vers le haut. Si vous avez de grandes idées pour faire avancer les choses, votre responsable hiérarchique vous écoutera et transmettra à sa propre hiérarchie, jusqu’au sommet, et le miracle se produira.

La génération Z est très sensible à la façon dont sont gérées les entreprises et celles-ci ont tout intérêt à jouer le jeu, en écoutant ce que leurs employés ont à leur dire et en tenant compte des initiatives des jeunes qui arrivent sur le marché. Les professionnels de demain sont les gardiens du futur et ne doivent pas avoir l'impression que leur voix n’est pas entendue. Vous pouvez être capable d’inspirer les gens, de recruter des employés, mais tout commence par vous en tant qu’individu. Désigner des coupables n’a jamais contribué à obtenir de meilleurs résultats. 

Sanjay, comment l’IA et les données contribueront-elles à préserver et conserver l’eau et à faire progresser le développement durable ?

Les capteurs IoT collectent des données sur les nappes phréatiques du monde entier ou d’une zone en particulier pour mesurer la quantité et la qualité de l’eau et contribuer à l’élaboration de politiques destinées à sa conservation et sa purification.

À titre d’exemple, quand on arrive dans un nouvel hôtel et qu’on prend une douche, on ne sait pas à quelle température est l’eau. Alors on joue avec le robinet et on gaspille de l‘eau. Ne serait-il pas formidable de pouvoir inclure dans notre profil notre préférence pour la température de l’eau pour qu’au moment où nous tournons le robinet, l’eau coule à la température souhaitée ? Ce n’est pas un fantasme. Je participe à des start-ups qui le font - il y a des problèmes à résoudre en matière de RGPD et de confidentialité, mais il y aurait beaucoup à faire.

Comment votre université a-t-elle utilisé l’IA pour enseigner des modules pratiques d’hôtellerie durant la pandémie de COVID-19 ? 

Nous ne nous sommes pas servis de l’IA pour donner les cours, mais nous l’avons intégrée dans les cours. Par exemple, j’enseigne les statistiques d’entreprises dans le programme MBA et ce n’est pas vraiment un sujet passionnant à enseigner en présentiel, alors imaginez en ligne. C’est là que nous avons fait appel à DataRobot, qui nous a permis, aux professeurs et aux étudiants, d’accéder à sa plateforme entièrement basée sur le cloud. Environ 40-50% du cours a porté sur les applications de l’intelligence artificielle dans l’industrie de l'accueil, sous une forme très interactive.

Pour aller plus loin, l’IA a un rôle à jouer dans l’espace éducatif actuel en prédisant par exemple si les étudiants - et combien d’entre eux - vont rester en ligne, combien reviendront parce que le cours est intéressant, ou inversement…

Revenons à vous Roel : comment pouvons-nous pousser les touristes à contribuer au développement des économies et à réduire leur impact ?

Les compagnies certifiées Green Globe reçoivent des recommandations sur la manière dont elles peuvent bénéficier à la communauté et à l’environnement du lieu où leurs activités touristiques se déroulent.

Chaque membre de la communauté locale devrait pouvoir tirer profit de la présence des touristes, pas seulement la chaîne hôtelière ou l’établissement. Cette certification garantit que la communauté profitera de l’activité touristique de la région. Alors une question subsiste, qui met en jeu une nouvelle responsabilité à assumer : dans quoi dépenseriez-vous votre argent en tant que touriste ? En achetant des excursions et des souvenirs sur place ou en privilégiant des établissements qui ne sont pas nécessairement à l’intérieur des installations, pour que les habitants puissent profiter de votre présence ? 

Sanjay, en parlant d’humanité, est-ce que l’IA sera utilisée pour obtenir la meilleure expérience client ou pour remplacer les êtres humains ?

L’IA ne pourra jamais remplacer les êtres humains, mais elle peut aider l’industrie de l’accueil à automatiser les tâches répétitives, à élaborer des prévisions sur les comportements des clients, et à mieux former le personnel de l’hôtel pour qu’il prête un service excellent aux clients et leur assure une expérience inoubliable.

L’IA peut aussi contribuer à atténuer l’impact sur l’environnement en optimisant l’utilisation des ressources. Quand je dis IA, je me réfère à tout l’écosystème, qui inclut l’industrie 4.0, les IoT, l’IA…, et rien de tout cela ne devrait être perçu comme une menace. Les capacités de l’intelligence artificielle devraient être reconnues et mises à profit dans n’importe quel type de travail. Au lieu de travailler dur, les professionnels de l’hôtellerie doivent tout simplement apprendre à travailler intelligemment.

Nous espérons que vous avez apprécié ce tête-à-tête ! Découvrez le webinaire complet : IA ou Développement durable, sur Hosco.com et n’hésitez pas à contacter Roel Brinkman et Sanjay Nadkarni pour échanger sur l’avenir de l’hôtellerie-restauration !